L'orientation enjeu des réformes. Antoine Prost, Du changement dans l’école

Publié le par Jérôme Martin

L'orientation enjeu des réformes. Antoine Prost, Du changement dans l’école

Dans son dernier ouvrage intitulé Du changement dans l’école. Les réformes de l’éducation de 1936 à nos jours, Antoine Prost revisite des réformes ou des périodes qu'il a déjà abordées dans des textes précédents, notamment Education, société et politiques. une histoire de l'enseignement en France de 1945 à nos jours(1992), mais en les enrichissant des travaux menés par d'autres chercheurs et en les interrogeant sous l'angle d'une question simple: comment et pourquoi le système scolaire change-t-il ?

Au terme d'un cheminement qui conduit le lecteur des classes d'orientation expérimentées par Jean Zay à partir de 1937 jusqu'aux réformes du début des années 2000, en passant par les réformes gaullistes, Antoine Prost livre un panorama traversant tous les ordres d’enseignement et centré sur des questions "vives": les transformations de l'école primaire, la question de l'école moyenne (le collège), les évolutions des pratiques pédagogiques ou encore la formation des enseignants, sans oublier l'épineuse question de l’enseignement privé. Si l'enseignement supérieur est abordé au travers de deux chapitres (la refondation des universités après 1968 et la réforme Savary) et l'enseignement élémentaire d'un chapitre, c'est bien entendu l’enseignement secondaire - "l'empire du milieu" selon l'expression de Lucien Febvre - qui est au cœur de l'ouvrage. Dans cette histoire des réformes, accomplies ou avortées, la question de l'orientation constitue un fil directeur qui donne une grande cohérence à plusieurs chapitres. En effet, cinq chapitres placent la question de l'orientation au cœur des réformes scolaires. Des "classes expérimentales" de Jean Zay (chapitre II) aux réformes de la période gaullienne (chapitres V et VI ) en passant pas le plan Langevin-Wallon (chapitre III), et jusqu'à la création des baccalauréats professionnels (chapitre XII), Antoine Prost montre que la construction pratique et théorique de l'orientation scolaire ne va pas de soi. Assignée à la satisfaction des besoins de main-d'oeuvre et à la volonté politique de contrôler les flux d'élèves vers l’enseignement général et supérieur, elle est fortement corrélée aux conceptions divergentes portant sur les finalités du système scolaire, notamment au niveau de l'école moyenne. Dès les réformes menées par Jean Zay, l’orientation scolaire est conçue comme un filtre permettant d'organiser les flux d'élèves à l'entrée, puis à l'intérieur du secondaire. Celui-ci apparaît d'ailleurs rétif à la notion même d'orientation, les disciplines scolaires restantles principaux critères d'orientation. Les expérimentations menées par exemple dans les classes nouvelles portées par Gabriel Monod dans l’après-guerre n'ont pas été suffisamment larges pour promouvoir des pratiques alternatives. A mesure que la notion d'orientation est entrée dans l’enseignement secondaire, puis s'y est généralisée, elle s'est progressivement dépouillée de son contenu originel, fortement hostile à l'évaluation scolaire, pour être redéfinie en termes strictement scolaires.

En 1922, le psychologue suisse Édouard Claparède, un des promoteurs de l'Education nouvelle et de l'orientation professionnelle, exprimait une grande méfiance à l'égard de l'école traditionnelle:

« Il est vrai que l’école, telle qu’elle est conçue actuellement, est très mal placée pour se rendre comte des aptitudes utilisables professionnellement. Elle est trop livresque, trop verbale, pas assez active, trop éloignée de la vie. Mais on peut se demander sur l’école telle qu’elle devrait être, et telle qu’elle est déjà dans certains établissements novateurs (école du Dr Decroly, à Bruxelles, écoles nouvelles), ne serait pas, au contraire, mieux placée que n’importe qui pour juger de ces aptitudes, pour les explorer, voire même pour les stimuler.
En informant les écoliers sur les diverses professions, en leur présentant les divers métiers, par exemple sous forme de vues cinématographiques, l’école pourrait sans doute déclencher des intérêts latents, ou au contraire faire évanouir des inclinations illusoires.
Comme conclusion, nous dirons que si, aujourd’hui, l’école n’est nullement outillée et ajustée à pouvoir offrir une collaboration bien utile à l’orienteur professionnel, il n’y a aucune raison pour que l’école de demain ne puisse la faire. Mais cela suppose, une préparation spéciale, beaucoup plus psychologique, des éducateurs. Il faut les mettre à même de pratiquer l’art délicat de l’observation des enfants et leur mettre en main les éléments nécessaires pour que cette observation s
oit la plus objective possible. »
Edouard Claparède, L’orientation professionnelle, BIT, Genève, 1922, p. 36.

La "scolarisation" de l'orientation ne s'explique pas seulement pas la capacité d'absorption de l’enseignement secondaire. Elle s'explique également par une des conclusions d'Antoine Prost sur la faisabilité des réformes. L'école n'est pas uniquement un système clos sur lui-même mais s’intègre à l'ensemble du système social: les représentations et les logiques propres aux enseignants, aux famille, aux élèves et, de plus en plus, aux acteurs locaux pèsent de tout leur poids. L'orientation scolaire comme sélection constitue sans doute un point d'équilibre entre plusieurs acteurs qui y trouvent satisfaction. On peut citer par exemple les déterminations de genre dans l'orientation devenues récemment une préoccupation du MEN. Les enseignants, les familles semblent s'en accommoder tant sont ancrées les représentations sexuées des études et des métiers.

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