Jean-Paul Delahaye: "L’école va bien mais pas pour tous"

Publié le par Jérôme Martin

Éducation. L’école va bien mais pas pour tous
Ouest-France Publié le 28/03/2016 à 10:53

L’école française est parfaite… Hélas pour seulement 50 % des élèves. Analyse avec Jean-Paul Delahaye, inspecteur général de l’Éducation nationale à la retraite. L’école française est parfaite… Hélas pour seulement 50 % des élèves. Analyse avec Jean-Paul Delahaye, inspecteur général de l’Éducation nationale à la retraite. | Fotolia/DR

Recueilli par Philippe SIMON.

L’école française est parfaite… Hélas pour seulement 50 % des élèves. Analyse avec Jean-Paul Delahaye, inspecteur général de l’Éducation nationale à la retraite.

L’école française est parfaite… Hélas pour seulement 50 % des élèves. Les autres sont en difficulté, voire en très grande difficulté. C’est ce que constate Jean-Paul Delahaye, inspecteur général de l’Éducation nationale à la retraite. Il l’a expliqué, cette semaine aux 10es rencontres nationales de l’éducation, à Rennes. En proposant des remèdes rarement exprimés.

 

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Depuis l’élection de François Hollande, diriez-vous que l’école française va mieux ? Ou moins bien ?

Il y a deux manières de répondre à la question. Il y a un aspect conjoncturel et un aspect structurel. Sur l’aspect conjoncturel, 2012 a représenté une rupture incontestable qui va dans le bon sens. Il ne faut pas oublier que 80 000 postes d’enseignants avaient été supprimés dans la période précédente ; que notre pays avait cette chose absolument invraisemblable qu’aucun autre pays au monde n’a songé à imiter : concentrer le temps scolaire à l’école maternelle et primaire sur quatre jours ! Depuis 2012, l’école française a été profondément transformée. Créer 60 000 postes, reconstruire une formation pour les enseignants, remettre la semaine de 4,5 jours... ce n’est pas la même école qu’on est en train de concevoir.

Vous parlez de priorité donnée au primaire. Quel exemple pouvez-vous citer ?

La scolarisation des enfants de moins de 3 ans. Elle reprend. Elle avait été abîmée, auparavant. En 2002, nous scolarisions 30 % des moins de trois ans. En 2012, nous n’en scolarisions plus que 11 % ! Or, toutes les recherches montrent l’importance d’une scolarisation en maternelle pour la construction des éléments de langages qui permettent ensuite à l’enfant d’effectuer une scolarité satisfaisante. À propos du primaire, je voudrais évoquer un point : nous avons considéré de toute éternité qu’enseigner à l’élite, notamment dans les classes préparatoires aux grandes écoles, était un travail difficile qui nécessitait beaucoup de travail de recherche et de correction.

On a raison. En compensation de ces charges de travail, on a aménagé les horaires de ces professeurs. Seulement, je constate qu’on n’avait jamais songé à faire ce raisonnement pour les enseignants qui s’adressent aux élèves les plus en difficulté ! Pour la première fois, on dit : « On va faire la même chose. »

Voilà pour l’aspect structurel. Et pour l’aspect conjoncturel ?

Les difficultés de notre école viennent de plus loin que les alternances politiques. Quand on regarde les évaluations internationales Pisa, depuis 2003, on observe qu’une bonne moitié des élèves a des résultats excellents. Nous avons la meilleure école du monde, mais pour la moitié de nos élèves ! Mais nous avons 30 % des élèves qui, à 15 ans, sont en grande difficulté scolaire, ont au moins redoublé une fois et ont des résultats parmi les plus mauvais des pays de l’OCDE.

Comment expliquez-vous cet état de fait ?

Nous sommes le pays du grand écart. Ce n’est pas un accident lié à une alternance politique. C’est inhérent au fonctionnement même de notre système éducatif qui n’a pas été conçu pour faire réussir tous les élèves, mais pour les trier et les sélectionner. Ce qu’il fait remarquablement bien ! Sauf que cela ne peut pas continuer comme cela car les choses s’aggravent. La France est devenue le pays de l’OCDE dans lequel l’origine sociale pèse le plus sur les résultats scolaires.

Ces 140 000 jeunes qui sortent, chaque année, du système scolaire sans formation ni diplôme sont massivement issus des milieux populaires. Aujourd’hui, 1,9 million de jeunes de 18-24 ans sont ni en emploi ni en formation. Et la moitié d’entre eux ne sont pas en recherche d’emploi. C’est un drame humain pour cette jeunesse qui a eu un passé scolaire d’échec et d’humiliation. Politiquement, c’est un fait qui en danger notre pacte républicain.

Que doit faire la France ?

Ce que les autres pays ont fait avant nous : un Pisa-choc ! En 2003, l’Allemagne était très mal classée. Et elle a réagi et ses résultats s’améliorent. Nous, en 2003, on a critiqué le thermomètre ! Nous devons prendre conscience que ces inégalités sont insupportables, civiquement et politiquement très dangereuses, et qu’elles sont économiquement désastreuses.

Tous les économistes le disent : les inégalités à l’école freinent sur la croissance. Si nous voulons garder notre rang dans la compétition internationale, il n’y a pas cinquante solutions, nous devons refonder notre système éducatif. Les marges de progression que nous avons aujourd’hui ne sont pas dans les catégories supérieures. Elles sont chez les enfants de catégories défavorisées. Les pays, qui réussissent mieux que nous, ont su mieux que nous gommer l’impact des origines sociales sur les résultats scolaires.

Quelles mesures faut-il prendre concrètement ?

Ces mesures, ce sont le socle commun des connaissances et des compétences qui a été inscrit dans la loi de 2005 et que nous avons gardé en 2013. C’est la formation des enseignements, l’éducation prioritaire, la réforme du collège… Ces mesures vont demander du temps pour qu’on en voie les effets. Il faudra sans doute pas moins d’une génération ! Mais ce n’est pas parce que cela va demander du temps que nous avons le temps. Il faut prendre très vite des mesures.

Vous évoquez la réforme du collège. Mais, précisément, elle fait l’objet de critiques... 

À la rentrée 2016, tous les élèves de 5e, quels qu’ils soient, apprendront une deuxième langue vivante. C’est une formidable avancée démocratique. Qui cela peut gêner ? Évidemment personne ! Sauf que, dans la population française, peut-être y a-t-il certains de nos concitoyens, dont les enfants bénéficient déjà d’une deuxième langue vivante, dès la 6e ?

Et qui n’ont d’ailleurs pas forcément tous choisi ce parcours de formation pour la langue vivante elle-même… Mais peut-être pour la possibilité que cela offrait de séparer leurs enfants des enfants des autres ! C’est l’intérêt de l’ensemble de notre pays d’offrir à tous les enfants cette deuxième langue. Et que cela ne nuira à personne.

Ce n’est pas ce qu’on entend. On parle de niveau qui baisse... 

C’est un discours qui n’est pas toujours facile d’entendre. Il faut bien le percevoir car, dans un pays comme le nôtre qui connaît une crise, où les places deviennent chères, où on a la crainte du lendemain pour ses enfants et c’est légitime… Cette ambiance générale ne prédispose pas à la solidarité et au partage. C’est plutôt une période plutôt propice au repli sur soi, à la méfiance.

Comment dépasser ces clivages ?

Par la preuve : nous devons assurer aux parents une égalité dans l’offre de formation. Il faut comprendre leur réaction. Chacun souhaite le meilleur pour ses enfants. Je connais un collège dans lequel il y a cinq postes de professeurs de mathématiques. Aucun n’est occupé par un professeur titulaire ! Nous devons affecter les personnels les mieux formés dans les endroits où on a besoin d’eux, dans les endroits les plus difficiles. La mixité sociale est un des leviers pour que l’école progresse.

Si on laisse les quartiers se ghettoïser, on aura beaucoup de mal à faire recoller les 30 % qui vont très mal. L’école n’est pas seule. Il y a également les politiques d’urbanisme, mais l’école doit garantir qu’elle apporte une égalité dans l’offre scolaire.

Quelle idée fausse sur l’école avez-vous envie de battre en brèche ?

Il y en a deux. La première idée fausse, c’est de penser qu’en élargissant la base sociale de la réussite, on va niveler par le bas et on va nuire à ceux qui réussissent. Toutes les évaluations nationales et internationales le montrent. La seconde serait de penser qu’il n’existe qu’une seule forme d’excellence. Il faut que notre élite ne reste pas enfermée dans le recrutement social qui est le sien actuellement.

Si un futur dirigeant d’entreprise, si un futur grand responsable de ce pays, dans sa scolarité, n’a jamais côtoyé les enfants du peuple, on a tout à craindre des décisions qui seront prises. Et l’excellence ne se trouve pas seulement dans les Terminales S et les filières scientifiques. Il y en a aussi dans l’enseignement technologique, professionnel… Il y a une élite parmi les ouvriers. On n’en parle jamais.

 

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